ITINERAIRE DE DECOUVERTE

…En une quinzaine d’étapes …

1-LA ROUE DE BROUETTE :

Il s’agit là d’une invention exemplaire.

En 1957 ,Pierre Martel découvre dans des gravats, au cours d’une de ses prospections, cette roue abandonnée , chez Marius ROUX, de Saint Maime et en rapporte l’histoire :

Ce retraité, ancien fabricant de tuiles avait, pendant la seconde guerre mondiale, construit un four de potier pour produire des objets simples, mais devenus introuvables.

(on peut rapprocher cette démarche d’un épisode du roman de J .Verne : « L’île Mystérieuse » ).

Un jour, la roue de sa brouette cassa et en cette période, trouver du métal neuf pour réparer était quasi impossible.
On ne sait comment , il en vint à fabriquer une roue en terre cuite…

Le premier essai fut un échec.
Il comprit qu’il devait amortir les vibrations et réalisa un second prototype en incorporant de la paille et des brindilles à l’argile.
En peu de temps , la roue cassa.

L’idée de pratiquer des trous dans une roue pleine n’est pas évidente et se heurte à des difficultés évidentes : dimensions, positionnement etc..

Il parvint à réaliser une roue à évidements circulaires qui put être utilisée pendant des années.

« Sans le savoir et pour répondre à un besoin précis,, un humble artisan avait refait en quelques jours, tout le chemin que l’humanité avait mis des siècles à parcourir pour passer de la roue pleine à la roue à rayons. »

P.Martel

Cette invention, car c’en est une fait partie des collections du Conservatoire Ethnologique de Salagon (Mane)-Fonds Pierre Martel-

Cet inventeur possède un savoir-faire lié à son ancien métier ; mais l’activité inventive résulte d’une double démarche empirique qui vise à TEXTURER le matériau en réalisant avant l’heure « un composite » ; et à le STRUCTURER en l’évidant joliment pour lui communiquer des propriétés inattendues de résistance mécanique.

On ne devrait pas en rester là…

Si j’étais physicien,je n’aurais rien de plus pressé que d’utiliser mes moyens d’investigation pour étudier la propagation des ondes de choc dans cet objet et décortiquer son organisation microscopique…et déjà, tout simplement, étudier comment l’optimisation de la dimension des …trous..;et leur positionnement ont pu conférer une résistance en apparence, paradoxale.

Un objet de musée est souvent plus qu’une relique, une curiosité,une  soi-disant  « énigme », un élément de collection : c’est en fait un gisement de savoirs, de progrès, bien au-delà de sa dimension historique.

On observera que l’objet, l’outil est rarement mis en situation et que l’explication du geste de l’utilisateur est généralement..OUBLIEE, sans compter l’absence de démonstration de son efficacité relative.

Et cela commence avec l’orgueil puéril de chacun , de prétendre savoir utiliser une scie ou un marteau.

Pour ce qui est de l’inventeur : sa démarche est strictement utilitaire, le temps ne compte pas. ; sa persévérance semble indéfectible : aurait-il intuitivement la certitude d’aboutir ?

Son processus créatif est opaque et , comme pour tout inventeur, une éventuelle explication rationnelle de sa démarche relève de la belle histoire que l’on sert au lecteur…,à posteriori.

Comme on le verra plus tard, la réussite n’est pas toujours au rendez-vous et ces inventeurs malgré-eux ne sont ni des génies, ni des bricoleurs, ni des ingénieurs : leur succès résulte de leur capacité d’observation, d’analyse, de corrélation et de stratégie qui apparaissent paradoxales par rapport à nos méthodes de travail jugée si productives.

-2-LA PIERRE SECHE-

La montagne constitue un univers à part,a-priori hostile et contraignant,avec une ressource inépuisable : la pierre.

C’est là encore,P.Martel qui a joué un rôle déterminant dans l’attention à porter à cette ressource :

(« Pierre sèche en Provence-Alpes de Lumière N°s 89/90)

et à tout ce que l’ingéniosité a pu en retirer.
A sa suite il y a eu la prise de conscience de l’importance de cet élément, mais ce qui est beaucoup plus original, c’est l’entreprise d’expérimentation qui suivit : la construction d’un Cabanon pointu à Bonnechère (St Michel-l’Observatoire) : une BORIE.

Une entreprise d’identification des règles d’emploi de ce type de matériau et une aventure à haut risque : la première version étant terminée, un voisin vint lui dire qu’il n’avait aucune confiance dans la réalisation et qu’il fallait se garder d’y pénétrer.

Trois minutes plus tard, trente tonnes de pierre s’effondraient.

D’ou provient ce savoir ?

-Avait-il l’expérience de ce type de construction ?

-Avait-il entendu et RETENU de ses proches et amis des éléments critiques pour la réussite ?

-Avait-il simplement noté plus ou moins consciemment que la géométrie,la masse des matériaux,les proportions,étaient incohérentes avec les caractéristiques de bories qui tenaient debout ?

On ne le saura jamais : mais il avait eu l’esprit de faire connaître ses doutes, alors qu’il aurait pu rester indifférent.

C’est cela aussi la civilisation.

Il faut admirer la persévérance de celui qui reconstruisit un édifice qui est toujours debout, près de 60 ans après son érection, et laissa un corpus de règles et d’observations pour les…

« Nuls en Pierre Sèche »..

*Dans les années 1980 on décida d’agrémenter une aire d’autoroute du sud de la France avec…une borie.

Lorsque la construction fut terminée, la Direction de l’Equipement fit ceinturer l’édifice de béton…

Principe de Précaution oblige..et puis le dernier mot doit revenir à..l’ingénieur !

Dans cette logique, il n’y a plus qu’à interdire au public la plupart de nos monuments qui n’ont évidemment pas été conçus par un Cabinet agréé , qui n’ont pas été réalisés par des maçons formés selon nos critères actuels et qui ont utilisé des matériaux non certifiés..et quant à leur ancienneté !

On admire avec raison la perfection, l’esthétisme, la durabilité de ces bories, de ces murs de soutènement, en oubliant que leurs constructeurs ont accédé à cette maitrise au prix d’échecs répétés, simplement parce que la transmission orale des savoirs était la seule possible, et peu fiable.

« Mon logement : un petit cabanon, pas plus grand qu’un mouchoir de poche, sans fenêtres, bâti en pierres sèches…,le vent y soufflait comme dehors, ce qui avait l’avantage de faire évacuer la fumée, car il n’y avait qu’un trou dans la toiture, en guise de cheminée ; et souvent, quand il ne faisait pas de vent,, on aurait dit plutôt une charbonnière… »

« Ma vie de berger du Ventoux »-Emile BERNARD-(Cleopas editions)

3-LA PIERRE SECHE EN MONTAGNE :

Un des aspects intéressants de cette ressource et des techniques qui s’y rapportent est que ces constructions facilitent le drainage des sols et se déforment lentement sans rompre, lorsque les terrains bougent.

Dans ces conditions , une maçonnerie conventionnelle ne tiendrait pas.

4-LA REHABILITATION DES TERRITOIRES DE MONTAGNE (RTM)

Les travaux réalisés à partir du XIXe siècle, pour la réhabilitation des territoires de montagne (RTM) ont été remarquablement décrits par DEMONTZEY (Journal LA NATURE-2-1883) avec des principes simples : ralentir le flux des torrents, mais surtout drainer les terres en voie de fixation.

Le situation, critique, était déjà évoquée par BLANQUI en 1846 :

« Le ciel éclatant et limpide des Alpes, d’Embrun ,de Barcelonnette et de Digne, se maintient durant des mois entiers,pur du moindre nuage, et engendre des sécheresses dont la longue durée n’est interrompue que par des orages pareils à ceux des tropiques.

Le sol, dépouillé d’herbes et d’arbres, par l’abus du pacage et par le déboisement, porphyrisé par un soleil brûlant, sans cohésion, sans point d’appui ; se précipite alors dans le fond des vallées, tantôt sous forme de lave noire, jaune ou rougeâtre, puis par courants de galets et même de blocs énormes, qui bondissent avec un horrible fracas et produisent dans leur course impétueuse les plus étranges bouleversements. »

On est là devant une action rendue nécessaire par l’INVENTIVITE A REBOURS : la surexploitation des bois et le sur-pâturage…

Ceci témoigne d’une absence de vision globale des divers Pouvoirs de l’époque et en particulier de l’absence de conscience collective de pauvres gens qui

tentent de survivre.

-5-L’EPIERRAGE-

Dans ces hautes vallées, l’épierrage, effectué sur des générations , a permis de constituer des masses gigantesques de roches,en gagnant des surfaces agricoles, en faisant fonction de pare-avalanches ou de protection contre la divagation des torrents.

Il s’est même trouvé des enclos, »bourgeonnant » à partir de ces pierriers, ce qui évitait un charriage pénible.

Et bien des aménagements de chemins,souvent invisibles au marcheur,reposent sur des remblais souvent consdérables.

-6- MURS-MURS

Dans ses Commentaires sur la « Guerre des Gaules », Jules César décrit le « murus-gallicus », le mur gaulois,une muraille qui associe des madriers et des pierres en vue de réaliser un ensemble en quelque-sorte « armé ».

Les archéologues sont divisés sur l’efficacité de ce procédé, mais force est de constater que ruiner un mur conventionnel est aisé en déplaçant quelques pierres , tandis que le mur gaulois tiendra.

Dans le hameau de Fouillouse, j’ai retrouvé un « murus gallicus » ou ce qui lui ressemble beaucoup, une trouvaille que mes hôtes locaux trouvèrent tout à fait banale !

Et des applications récentes s’en inspirent.

Une transmission des savoirs, des traditions ou une re-découverte ?

-7-ABRIS ET CABANES :

Il existe une contradiction apparente entre le nomadisme forcé du berger et l’existence d’un habitat permanent.
De même la notion d’abri temporaire reste un problème ou l’ingéniosité du berger est mise à contribution .

Un élément frappant est la densité des gîtes et abris dans les zones d’alpage : il est fréquent de trouver des châlets ou leurs traces à de courtes distances (500 à 700m), quant aux abris : toute niche aménageable aura été mise à profit.

Ces pratiques, répétées sur des centaines d’années produisent une surabondance de traces ; mais l’abandon systématique de multiples structures crédibles par leur position, la structure correcte de ce qui reste du bâti, reste inexpliquée.

Si, d’une manière générale, les murs sont soigneusement bâtis, parfois en une structure courbe avec un couloir d’accès en « tuyau de pipe », probablement à cause du vent,et une toîture souvent absente pour des raisons peut-être fiscales, mais aussi la conscience que bâtir durablement un toît destiné à supporter 2m de neige n’a pas de sens, d’autant qu’une toîture d’été, légère est aisée à réaliser.

-8-UTILITAIRES :

Les bornes, cairns ou « papes » et très fréquemment les auges et fontaines.

Mais aussi les assaliaires, ces pierres destinées à reçevoir le sel destiné aux troupeaux, les meules, mortiers.

Et jusqu’au superflu : le galet jugé décoratif, voire enjolivé.

-9-L’EAU

9-1- LES RIGOLES D’ARROSAGE

Il y a un paradoxe montagnard : l’eau est abondante à l’évidence, mais elle tend à échapper à l’homme et, non gérée, elle est capable d’importantes destructions.

Sa présence conditionne l’habitation, même temporaire, le pastoralisme et la production de fourrages.


On n’a aucune idée des kilomètres de rigoles d’arrosage, réalisés avec une science tout a fait au point.

Par exception,cette démarche et l’entretien relèvent d’une action nécessairement collective et continue.

Là aussi la pierre devient nécessaire pour satisfaire le cahier des

charges:exporter l’eau le plus loin possible sur une distance qui peut être considérable,la partager (martellieres) , étancher les fuites et gérer une nécessaire percolation de l’eau dans les pâturages.

Il y a là une sorte de chef-d’oeuvre d’ingénierie que le progrès a plus ou moins remplacé par une machinerie et des tuyauteries d’une fiabilité et durabilité modestes et d’un coût non négligeable.

Et il arrive que ce modernisme nécessite une certaine inventivité non dénuée de vulnérabilité :

9-2-L’ESCALIER D’EAU :

La montée au col de Girardin s’effectue dans un paysage lunaire ; la fréquentation assidue de cette zone par les troupeaux, correspond à la présence d’une source qui,de façon immémoriale coule très faiblement, mais ne tarit jamais.

Ce n’est pas un détail ; aucune ressource, si minime soit-elle ne saurait être négligée.

Un peu au dessous du col, sur le versant sud, on découvre un escalier d’eau : une série d’auges récupèrent un mince filet d’eau et, luxe inoui , ces auges sont en marbre rose (la pierre locale)

Il y a un côté irréel à découvrir dans une telle solitude,dans un pierrier, cet aménagement cyclopéen,en apparence inutilisé et qu’on imagine envahi quelques jours par an par une marée de moutons.

Les auteurs ont du extraire et transporter des monolithes de près d’une tonne sur des centaines de mètres à flanc d’éboulis, les tailler avec soin puis les agencer en une sorte de Versailles rustique à 2200m d’altitude : « Les bachasses ».

-10-SE DEPLACER.

Les cheminements sont des révélateurs des nécessités,des usages, des consensus : il faut arriver aux temps modernes pour voir le cheminement traditionnel se doter de bretelles, de raccourcis.

Jusqu’à présent ,tout cheminement résultait d’un compromis face à des nécessités, des obstacles et des moyens connus quant à leurs limites : les jambes du marcheur et les pattes des animaux de bât.

On pourra se référer aux travaux de P.Vidal de la Blache.

(Bulletin de Géographie Historique et Descriptive-1902-115/16 .)

à ceux de :

Marcel Gautier :

« Un chapitre négligé de la géographie agraire : les enseignements des chemins ruraux »

(L’information Géographique »-1952-17-3-93/97)

et d’ Olivier Etcheverria :

« Le chemin rural, nouvelle vitrine des campagnes » (Strates-1997-9)

Les cheminements en Ubaye peuvent se classer en quatre catégories, avec des chemins trans-frontaliers,et des chemins d’accès aux vallées parallèles à l’Ubaye.

Pour faire face à :

-Des nécessités agricoles : (chemins pastoraux, drailles)

-La défense du territoire (Pistes militaires,en général parfaitement profilées et résistantes à une absence d’entretien depuis des lustres)

-L’exploitation des forêts, mines et carrières.(on pourra se reporter au tracé périlleux des marbrières de Maurin (ravin de la Salcette) ou à l’ancien sentier du vallon de Chabrière ; ou encore à l’accès à l’ancienne mine d’anthracite de St Ours.

-Les tracés de randonnée.

Les fonctionnalités de ces divers types de chemins ne se superposent pas nécessairement, ce qui aboutit souvent à une pléthore de tracés, enrichis par des anastomoses, des raccourcis des utilisateurs de VTT ou de motos, ces derniers favorisent à l’évidence l’érosion.

Tout cheminement est par essence une invention qui génère des sous-produits : refuges, points d’observation.

Et l’usager responsable en assurera l’entretien par son piétinement, par

l’élimination de quelques éboulis, voire un fléchage.

Enfin, les chemins sont, de fait, l’endroit ou l’on perd des monnaies, des clous, divers menus objets qui donneront parfois, plus tard de précieuses informations à l’archéologue.

C’est aussi l’endroit ou le passant éveillé ramasse à son tour l’objet égaré…qui pourra toujours servir.

-11- FAIRE FEU DE TOUT BOIS

Le grand Bucheron :

Ce sont les avalanches qui produisent des quantités de bois qui sont souvent si abîmés qu’ils ne peuvent être employés que pour le chauffage (lorsqu’on peut y accéder)

*Le transport du bois :

On fait face à des techniques assez classiques de débardage, voire flottage (plus documenté pour le Durance), avec parfois l’emploi de traineaux

Il est fréquent d’identifier des coupes possibles d’arbres situés dans des endroits scabreux, un exploit que l’on laisse volontiers aux voisins spécialistes piémontais.

*Des emplois inattendus :

-Les bûches permettent de compléter une maçonnerie avec un mariage des matériaux assez esthétique, de même la provision de bois sera soigneusement rangée en constituant une sorte de faux-lambris .

-En bonne économie rurale, même les brindilles seront récupérées et triées.

-Le forestier peut, en quelques coups de scie, confectionner un fauteuil.

-Les fontaines sont agrémentées souvent de griffons improvisés à partir de racines ou de bois mort, un rappel des gargouilles médiévales.

-Les bergers savent travailler en particulier le collier des animaux et y ajoutent toujours une note personnelle.

C’est le luxe que peut s’offrir le pauvre et un pied-de-nez aux tenants de la stricte rationalité, de l’utilitaire qui devrait, pensent certains,être dépouillé et triste.

Un savoir vivre..,et survivre.

-La fourche d’arbre et ses pierres :

Cette étrangeté apparente est en fait un bornage de champ.il demeure qu’un galet coincé dans la fourche d’un arbre fait davantage penser à une tentative de « land-art », voire à quelque pratique magique.

-Les habitations traditionnelles sont en général posées à l’Adret, conçues pour bénéficier d’un maximum d’ensoleillement avec des balcons hardis et des raidisseurs parfois originaux, voire des contreforts plus ou moins improvisés, car, comme partout, le bâti s’adapte à l’évolution de la famille, à sa prosperité.

On observe fréquemment de jeunes arbres, des mélèzes en général, déformés par le poids des neiges, ce qui leur donne un aspect de « moitié de lyre » ; ces arbres conservent leur déformation en se développant et ils seront utilisés pour conforter les murs des cabanes et des bergeries.

Leur efficacité est inconnue, mais le résultat est surprenant et loin d’être inesthétique.

L’évacuation des fumées d’une cabane est essentielle et l’inventivité s’y développe avec des paradoxes fréquents, comme ces conduits …en mélèze

Or il se trouve que ce bois est beaucoup moins combustible qu’on pourrait l’imaginer .
Cela,les bergers l’ont observé et mis a profit, bien avant de très sérieuses études scientifiques.

Le bois se prêtera a une foule d’applications ; certaines, classiques : l’ameublement par exemple ; d’autres, plus techniques ,comme les goulottes pour l’amenée d’eau, la retenue des remblais.

A côté des pratiques rationnelles, il existe des rites, des procédés surprenants :

« Le berger ne coupait son bâton qu’à la lune vieille ; pour son orgueil personnel, il fallait qu’il soit parfaitement taillé, et à la lune vieille, le bois ne travaille pas, alors qu’à la lune nouvelle, il travaille toujours.

C’était la même chose pour faire les charpentes, et pour couper tous les bois… »

Denis EYMERIC- »Berger sur la route des grandes transhumances à pied »-Cheminements-2002.

S’ajoute l’inventaire des emplois précis des diverses essences d’arbres, ainsi : le cornouiller donnerait le meilleur bois pour les manches de marteaux et autres outils « de jet » ou de frappe.

A ce stade , on peut faire référence à D.Cuvillier :

« Capter les tendances-observer le présent,anticiper l’avenir »-Dunod-2012

« l’important n’est pas tant ce que l’on cherche ou ce que l’on trouve, mais les chemins qui nous mènent à des découvertes fortuites…

..;le principe de sérendipité (s’applique) à une découverte inattendue, due au hasard et à l’intelligence…

Ce terme étrange veut rendre compte de l’art de saisir au bond ce que l’on cherchait, sans le savoir…c’est une technique nomade, un art de survie dans la forêt..c’est une façon de faire feu de tout bois… »

12-LE METAL

Les zones de guerre ont vu un recyclage imaginatif des débris abondants

En Ubaye, ce berger a réalisé un porte-savons original, et quasi indestructible dans un fragment d’obus, sa table de toilette s’agrémente également de galets qui se prêtent à des colorations qui évoquent les tropiques.

Et tout ce qui pouvait être récupéré et recyclé du matériel de la Ligne Maginot du Sud-Est l’a été, y compris un coffre-fort qui fait l’orgueil du berger, quelque-part vers le Restefond.

Fig 304

L’irremplaçable tôle :

Très vite , les montagnards ont compris l’intérêt de l’emploi de la tôle ondulée en lieu et place des bardeaux de mélèze traditionnels et l’aspect de la plupart des villages en a été substantiellement modifié.

Bien que ce matériau soit léger, transportable, résistant et relativement bon-marché, il arrive que, par nécessité on le recycle à l’extrème, témoin cette bergerie ou on a réalisé une sorte de patchwork inattendu.

On aborde ici un des aspects de l’invention rurale : l’acharnement à donner de multiples « vies » à l’objet.

Dans » l’Invention Rurale », P.Martel présente un torchon qui a été ravaudé de façon forcenée pour en faire une sorte d’oeuvre d’art . (Musée de Salagon)

De nombreux documents , des outils en particulier : les « gueules cassées » de l’outillage ont été réparés, redressés, béquillés ou détournés de leur usage initial jusqu’à l’extrème limite.

-Notre mode de vie actuel rend difficile la compréhension de ces démarches, tant nous admettons l’obsolescence de nos outils, leur abondance et leur

disponibilité en oubliant que la moindre catastrophe nous ramènerait à cette nécessité vitale : réparer, recycler, détourner jusqu’à un état irrécupérable.

Il a existé à Fontaine de Vaucluse un « Musée des restrictions « , devenu Musée J.Garcin qui présentait de nombreux documents illustrant cette démarche pendant la seconde guerre mondiale.

-13 -BOUTS DE FICELLE ET FILS DE FER :

Une référence à une expression tombée dans l’oubli vers 1950 :  »faire marcher avec des bouts de ficelle ».

Par principe, les bergeries restent ouvertes (on n’est pas en ville) d’abord pour faciliter l’abri des passants ; ensuite parcequ’on évite ainsi de retrouver une porte défoncée…

Curieusement, défaire un lien de ficelle ou de fil de fer qui immobilise une porte, incite le visiteur à le rétablir en partant, plus sûrement qu’une serrure.

Ces liens ont des applications innombrables, surprenantes et peut-être, parfois, magiques ?.

(Encore que dès qu’une explication de quoi que ce soit ,n’est pas évidente, on s’empresse de qualifier le document de magique ou religieux.)

Et ,faute de ficelle on aura des liens de paille ou d’autres végétaux ligneux.

-14-SE NOURRIR,SE SOIGNER :

Il existe un légendaire tenace des bergers qui seraient de savants météorologues, un peu sorciers et fins connaisseurs des ressources botaniques et de leurs propriétés quasi universelles.

Il y a également une abondante littérature sur ces sujets, avec une référence crédible : les travaux de :

Pierre Lieutaghi

Et, parmi ses nombreuses publications :

– »Le livre des bonnes herbes »

– »Les simples entre Nature et Société ».

– »La Plante Compagne »

On pourra également se reporter à:

« Edible and tended wild plants,traditional ecological knowledge and agroecology ».

N.J.TURNER- « Critical reviews in plant sciences »-2011-30-198/225.

(Cette publication porte, entre autres, sur des régions proches : Frioul-Vénétie-Ligurie).

Pour le reste, la littérature archi-redondante actuelle se nourrit du recyclage de croyances , d’incantations et de pratiques dont l’ancienneté et la répétition ne garantissent nullement la véracité.

Il est parfaitement logique que nos ancêtres aient systématiquement tout testé pour se nourrir avec une obsession : les aliments « coupe-faim » et le recours à une pharmacopée empirique.

Et il est exact que notre pharmacopée actuelle, doit un nombre considérable de ses principes actifs au règne végétal, avec une discipline moderne : l’ethnopharmacologie qui tente d’exploiter les connaissances traditionnelles ; à laquelle il conviendrait d’ajouter le réexamen de ce qui a été abandonné au cours de l’évolution médicale.

Les témoignages oraux sont peu nombreux et il faut se résigner à observer les traces d’hypothétiques propagations volontaires de plantes jugées utiles.

Voici quelques exemples des ressources locales.

D’abord honneur à la RAIPONCE:

Elégante et douée de multiples proprietés traditionnelles ; on notera que pratiquement aucune

plante ne semble dépourvue d’activité selon la tradition et d’ailleurs existait-il des alternatives ?

Et la multiplicité des bénéfices revendiqués ne semble susciter aucune interrogation.

1-LA PRUNE DE BRIANCON :

Un cas exemplaire : car ce prunier ,dit aussi marmottier, serait en fait un abricotier

(ce qui ne chagrine que les botanistes…)

(voir les remarques sur les critères de classification usuels des végétaux)

Cet arbuste est si répandu que l’on peut se demander s’il n’a été volontairement propagé.

(RIVIERE-SESTIER- »Remèdes populaires en Dauphiné »-1943- et J.DUPOUY -(1959)

Il produit des « prunes » jugées comestibles, à saveur intensément acide et âcre..et on a retiré de ses amandes une huile, dite « huile de marmotte » qui serait comestible

(Sa production au rendement dérisoire s’est arrêtée en France vers 1920-)

Au passage, notons que la notion de rendement n’émeut guère l’empirique qui ne perçoit qu’une contrainte : la nécessité, l’absence d’alternative.

Les marmottes n’ont rien à voir dans cette appellation et ce que l’on sait de la composition de cette huile ne permet pas d’affirmer qu’elle contienne des principes actifs.

Pour éviter tout malentendu, il existe dans le commerce des huiles animales de Marmotte qui n’ont rien à voir avec cette tradition strictement végétale et dont l’intérêt ,n’est pas démontré.

-2-LE SORBIER :

En période de disette on a fait du pain a partir de ses fruits, malgré la présence de l’acide sorbique, de réputation douteuse et de saveur désagréable.

(on peut effectivement observer au microscope de très nombreux grains d ‘amidon dans ses baies)..

Ce cas est classique du recours désespéré à toute ressource jugée comestible.

-3-LES CHARDONS et LES CHAMPIGNONS sont des classiques (pour les connaisseurs)

-4-L’EPINARD « BON HENRI » :

Très abondant dans les enclos pastoraux, car c’est une plante avide de nitrates, ; son nom ne signifie pas qu’il soit assimilable a l’épinard classique.

Sa préparation culinaire nécessite l’éliminatioin du « talc » de ses feuilles et un bon nettoyage,puisqu’il pousse sur les excrèments des ovins.

Il aurait des propriétés laxatives et surtout, contient de l’acide oxalique, dangereux pour les reins.

Cette plante, comme le sorbier , fait partie de la panoplie des aliments « coupe-faim » utilisés dans les situations de disette.

-5-L’ANTHYLLIS MONTANA :

Certains bergers l’ utilisent pour traiter les plaies du bétail.
C’est un berger qui attira l’attention de P.Martel sur cette plante jugée décorative,et dont les capitules floraux, une fois nécessairement dessèchés, permettent de réaliser un « thé » discrètement parfumé , à la saveur de miel et contenant des antioxydants plus ou moins identifiés.

J’ajouterai que des démarches récentes et intelligentes amènent divers innovateurs à cultiver, récolter et transformer. :

-6-L’ARGOUSIER, riche en vitamine C

-7-LE GENEPI, botaniquement apparenté à l’absinthe (voir ci-dessous)

-8-L’EPINE VINETTE , (un Berberis),un des arbustes dont les fruits sont les plus riches en Vitamine C ; une plante bannie des terres agricoles, car c’est le refuge d’un champignon pathogène des céréales.

Au passage, soulignons qu’il existe 650 variétés de Berberis et cette arborescence n’est basée que sur des critères morphologiques et rien n’indique que leur composition soit égale, régulière, homogène.

Ceci doit rendre prudent sur la généralisation exagérément optimiste de qualités présumées.

Fig 312-9-LE GENEVRIER :

Il existe 60 espèces recensées, avec les mêmes commentaires que pour les Berberis.

La tradition attribue à ses baies qui ont une odeur et une saveur puissantes des proprietes therapeutiques ( dues à une cinquantaine de substances volatiles, apparentées à ce que l’on trouve dans les conifères).

Cet épineux a induit ses utilisateurs à inventer toute une panoplie de peignes pour la récolte, à l’image de la myrtille.

Traditionnellement, dans la Vallée on fait longuement concentrer des confitures de ces baies jusqu’à consistance et aspect d’une sorte de goudron végétal.

Si l’importance gustative est reconnue,les vertus réelles de cette confiture sont inconnues et ne passionnent guère les chercheurs : l’ethnopharmacologie européenne reste timorée.

-10-L’EGLANTIER, dont le fruit : le cynorrhodon,débarrassé de son « poil à gratter » est également riche en vitamine C .

Ces végétaux aux épines redoutables nécessitent une patience,un dévouement sans faille pour leur récolte.

Et, le raisonnement binaire étant un fléau très actuel :ce n’est pas parcequ’on observe une teneur intéressante en Vitamine C dans ces fruits CRUS, qu’a l’issue de leurs transformations, cette vitamine soit encore présente en quantité notable.

Ceci nous amène au « LIVRE DE RAISON » (cf ci-dessous) du Sieur Audibert de Curel ,ou du Curé de La Roche (Saumane, près de Banon) ; un texte manuscrit qui couvre la période 1780-1810 approximativement (une datation facilitée par des intermèdes de citations politiques..;)

L’objet est le traitement de la Rage a l’aide des racines de cynorrhodon.

« Vous prendrez trois œufs…vous aurez de la racine d’églantier ou rozier dehayes, que vous fairez arracher du côté ou le soleil donne,faites le raper le plus menu…après en avoir ôté la premère peau…

(On ajoute ensuite un blanc d’oeuf, de l’huile de noix…)
Mellez cette huile avec vos œufs ; ajoutez une bonne pincée de poudre d’églantier, c’est à dire autant que les cinq doigts a demi ecartez pourront la prendre… »

S’en suit la confection d’une omelette que l’on fera ingérer au malade 

Ce texte est probablement une copie, et non une invention.

Avec cette référence à l’antiquité qui a généré la dénomination de Rosa CANINA 

(le rosier permettait , croyait-on,de traiter les morsures de chiens)

Ce texte est dans la tradition ,avec tout un luxe de précautions censées crédibiliser et assurer l’efficacité.

Et il fera sourire..

Au delà du pittoresque, voici une information récente : les racines de l’églantier contiennent en effet des substances anti-virales…

Mais l’étrangeté des pratiques décrites rend invraisemblable toute efficacité !

-11-L’HYSOPE :Auréolée de références bibliques, cete plante élégante a été largement utilisée comme condiment et comme médicament.

Ce sujet est représentatif de l’écart entre nos connaissances scientifiques et un emploi d’un optimisme qui semble assez excessif .

Mais en therapeutique la crédulité accompagne généralement l’inventivité.

Et on ne peut également que regretter la paresse à étudier par exemple :

-12- L’ECORCE DE MELEZE, malgré un programme européen destiné à l’agrochimie.

Ainsi la société LONZA (Suisse) a mis en évidence l’existence d’un extrait immunostimulant

Mais…n’en déduisez pas qu’une décoction de copeaux sera la panacée !

-13-LES ABSINTHES :

Au delà des applications en liquoristerie, cette famille botanique présente des sujets prometteurs

Cette famille nombreuse est définie comme tout le système botanique classique par des critères morphologiques et sexuels ; ce qui néglige le caractère fondamental de « race chimique » : en d’autres termes il est extrèmement fréquent que deux plantes appartenant à la même « famille anatomique » présentent une composition chimique substantiellement différente.

Ceci nous amène à ce cousinage avec…l’ARMOISE, qui présenterait un intérêt anti-paludique ; ce qui n’est pas un détail et mériterait un peu plus d’énergie et de persévérance dans la Recherche.

x x x

Plus simplement, il est plausible que l’essentiel des observations, des savoirs acquis par les usagers normaux de la Montagne porte sur l’identification des plantes potentiellement dangereuses pour le troupeau : fougères,légumineuses,rhododendron, glands…

Je ne saurais oublier l’abbé TERRAY.

Ancien curé d’Auron,éminent botaniste.

« Attila » redouté par diverses colonies de plantes médicinales destinées à la Pharmacie et plus spécialement à l’Homéopathie,…pour l’efficacité de ses cueillettes.

Sa vie mériterait un récit à part et ,il a été ,il y a une soixantaine d’années l’un des derniers ramasseurs-cueilleurs de plantes médicinales.

Lui aussi fit preuve d’inventivité en détournant la ventilation et le chauffage de sa modeste voiture…pour sécher ses récoltes, tout en roulant.

-15- LES LIVRES DE RAISON :

Après tout ce qui relève de l’improvisation, de la transmission difficile des savoirs et d’un mécanisme immémorial, et universel :

la perte de mémoire, la perte des savoirs

il faut signaler cette pratique abandonnée au 19e siècle :

LES LIVRES DE RAISON :

.Une belle invention,restée très limitée en nombre, avec des auteurs instruits, aisés et assez libres pour disposer de temps, pour observer et tenter de transmettre leurs connaissances .

Il s’agit de cahiers ou carnets ou figurent dans un joyeux désordre ce qu’ils ont retenu (en particulier a la suite de la Révolution Encyclopédique), les recettes de tous ordres, les comptes familiaux,les réflexions philosophiques, religieuses et politiques.

On est devant des raretés (un peu plus d’un millier officiellement recensés en France)

Tout comme les traces gravées, ces documents donnent une information fraîche et incontestable sur les savoirs et les opinions de leurs auteurs.

Ceci relève d’une autre exploration et du problème non résolu dit celui des « archives familiales ».

et amène à ce constat :

Ces régions , en particulier, ont bénéficié d’une frénésie des visiteurs qui ont beaucoup photographié..
La plupart de ces photos relèvent de la carte postale,du souvenir de famille, mais il y a là un gisement potentiel d’informations, sur plus d’une centaine d’années, qui est probablement en perdition.

Combien de photos subsistent des gerberons réalisés lors des récoltes à Maurin ?

16-LA TOPONYMIE

Il s’agit là aussi d’une invention qui par nature est collective et relève d’un consensus.

C’est François Arnaud qui a compilé cet élément du patrimoine et en a donné la synthèse qui suit en 1902.

« Le choix d’un nom est un acte intellectuel au premier chef…

(ces premiers habitants…de l’Ubaye) étaient des gens très pratiques , doués d’une raison froide, d’une vue claire, nommant les lieux habités par eux,leurs vallons, leurs bois,leurs pâturages, leurs montagnes, d’après leurs qualités physiques,admirablement observées : leur forme, leur couleur,leurs productions utiles ou nuisibles et les phénomènes naturels qui s’y passaient .

Chez-eux, pas l’ombre d’imagination, sur 3860 noms, pas un qui rappelle une légende, un miracle,une puissance surnaturelle quelconque »